Il était une fois...

06/07/2021

Il était une fois, un banc au milieu d'un square. Il est un peu vieux, son bois est recouvert d'une fine mousse blanchâtre. Il est le seul banc en bois. Les autres ont été remplacés par un matériau plus résistant. Lui, a été oublié, épargné. Tous les jours, il observe les joggeurs, les nounous qui tentent de ramener à l'ordre des enfants qui ne sont pas leurs, des amoureux qui se prélassent et s'embrassent.

Les feuilles jaunissent. Elles virevoltent dans une dernière danse, avant de se poser délicatement sur son bois humide. La température a baissé de quelques degrés et le soleil se fait de plus en plus rare.

Elle rentre du travail. Elle est rédactrice en chef d'un prestigieux magazine de mode. Elle a dûment mérité sa place dans cette entreprise, au gré de quelques blessures. D'ailleurs, elle décide de s'arrêter quelques instants, de s'asseoir. Elle enlève ses escarpins, ses talons sont ensanglantés. C'est inévitable, pourtant elle y est obligée.

Lui, en revanche, est encore étudiant. Il prépare son doctorat de chimie. Il aime secrètement s'asseoir quelques instants ici, pour reprendre son souffle. Il n'en a pas l'air, il ne le dit pas, mais il lui arrive de rester toute la journée et de dévorer des pages et des pages de littérature française ; Flaubert, Zola, Voltaire, Hugo... Mais c'est un scientifique, c'est sûr !

Ils habitent à deux rues, ne se sont jamais croisés. Pourtant aujourd'hui, ils lèvent le regard l'un sur l'autre. Elle le questionne sur sa lecture. Ça lui manque, elle n'a plus le temps de lire. Il la trouve jolie. Son sourire et sa bonne humeur sont contagieux. Mais il ne lui dit pas, il est plutôt réservé.

À l'extérieur, tout est recouvert d'une fine couche blanche. Elle est encore fragile, c'est la première neige de l'année. Déjà, les enfants s'amusent, développent des stratégies de batailles développés. La population du square a bien diminué, les rares personnes qui s'y trouvent sont emmitouflées dans leurs longs manteaux et leurs écharpes qui montent jusqu'au nez.

Tous les vendredis midi, ils se retrouvent pour manger ensemble. C'est leur petit rituel, leur moment de calme en fin de semaine, avant de se retrouver définitivement pour le week-end.

Elle est toujours prévoyante, elle s'informe de la température, du temps qu'il fera. Elle a décidé de mettre son gros manteau et a glissé une deuxième veste dans son sac pour lui, juste au cas où. C'est elle qui s'occupe du repas. Elle aime que les choses soient bien faites et organisées. Aujourd'hui, elle est allée chercher des soupes. Elle savait qu'il ferait froid, c'était le moment idéal. Elle pose délicatement un papier sur le banc mouillé, s'assied et l'attend.

Il arrive en courant, il est gelé. Il n'avait pas prévu que la neige arriverait de sitôt. Il a tout de même pris la peine de mettre une belle chemise. Son cœur bat à toute allure dans sa poitrine, il semble ailleurs, stressé.

Elle s'inquiète sur son état, lui demande ce qui ne va pas. Elle ne se doutait pas qu'en réalité, un soleil grandissait dans son cœur.

Elle ne se doutait pas que dans la poche de son jean, se cachait un tout petit paquet.

Ce petit paquet insignifiant, recouvert d'un papier bleu pâle et d'un ruban doré. Ce petit paquet qui lui avait coûté tout son salaire et qui allait changer le cours de leur histoire.

Les premières fleurs éclosent. Le square retrouve des couleurs. Il y a cette légère odeur de l'été qui se fait attendre. Les faibles rayons qui passent à travers les arbres viennent chauffer la peau des passants. Certains retirent immédiatement leurs vestes. C'est un beau jour pour les promenades. Les poussettes font leur retour dans le square.

Après avoir fait l'expérience de l'oubli des couche culottes et des lingettes pour les mains, il a commencé à s'organiser. Ils viennent prendre le goûter tous les jours ici. C'est idéal. Il peut s'asseoir quelques instants et veiller sur eux.

Le grand ne tient pas en place, il court partout, ramasse des fleurs afin d'en faire un bouquet pour sa maman. Il en profite pour sortir les pommes et les biscuits qu'il a pris soin de mettre dans une petite boîte, tout en berçant la poussette. La petite s'est enfin endormie, ses efforts ont portés leurs fruits. Il en profite pour sortir son livre, le dernier Foenkinos qu'il a acheté il y a déjà quelques mois.

Elle a pris congé cet après-midi pour les rejoindre. Elle a décidé de continuer de travailler à temps partiel. Lui a décidé de mettre sa carrière de côté pour s'occuper pleinement des enfants et de la maison. Leur rêve s'est enfin réalisé. Ils ne prennent pas conscience que le temps passe à une vitesse folle, ils sont ensembles, ils sont heureux.

Les enfants iront bientôt à l'école, les choses vont changer. Mais ils restent là, demeurés sur ce banc. Ils les observent. Ils se sourient.

L'ombre apporté par les grands pins ne suffit plus à protéger le square de cette chaleur étouffante. Les enfants jouent dans la fontaine, s'aspergent d'eau. Les joggeurs ne viennent que très tôt le matin et la moitié de la ville a déjà déserté au bord de la mer à cette période de l'année.

Cela fait maintenant deux années qu'il a vendu leur maison de vacances. Il n'en n'avait plus besoin et puis le trajet est devenu trop fatiguant pour lui.

De toute manière, c'est elle qui aimait visiter d'autres horizons. Elle organisait tout dans les moindres détails, de l'adresse du meilleur restaurant aux horaires de trains. Lui préférait rester à la maison, s'occuper du jardin mais il la suivait partout. Et puis, c'était bon pour l'éducation des enfants, disait-elle.

Il continue pourtant de venir s'asseoir sur le banc tous les jours, à midi. Il observe, se souvient. Il voit les enfants jouer, se souvient qu'avant, il pouvait les suivre partout.

Il voit la pelouse d'en face fleurie. Elle adorait les fleurs, elle en mettait partout, même dans ses cheveux.

Il sent la terre fraîche, remuée par les chiens qui cherchent à marquer leur territoire. Parfois, elle s'énervait contre les enfants, qui revenaient couverts de boue. Mais elle ne se rendait pas compte qu'elle était dans le même état quand elle s'occupait du jardin.

Il reste là, assis. Il observe et se souvient. Il écrit...

Il était une fois, un banc au milieu d'un square. 

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